Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/370

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mais il était bien résolu (quoi qu’il dût faire) à changer d’existence, c’est-à-dire à ne plus perdre son cœur dans des passions infructueuses, et même il hésitait à remplir la commission dont Louise l’avait chargé. C’était d’acheter pour elle, chez Jacques Arnoux, deux grandes statuettes polychromes représentant des nègres, comme ceux qui étaient à la préfecture de Troyes. Elle connaissait le chiffre du fabricant, n’en voulait pas d’un autre. Frédéric avait peur, s’il retournait chez eux, de tomber encore une fois dans son vieil amour.

Ces réflexions l’occupèrent toute la soirée ; et il allait se coucher quand une femme entra.

— C’est moi, dit en riant Mlle Vatnaz. Je viens de la part de Rosanette.

Elles s’étaient donc réconciliées ?

— Mon Dieu, oui ! Je ne suis pas méchante, vous savez bien. Au surplus, la pauvre fille… Ce serait trop long à vous conter.

Bref, la Maréchale désirait le voir, elle attendait une réponse, sa lettre s’étant promenée de Paris à Nogent ; Mlle Vatnaz ne savait point ce qu’elle contenait. Alors, Frédéric s’informa de la Maréchale.

Elle était, maintenant, avec un homme très riche, un Russe, le prince Tzernoukoff, qui l’avait vue aux courses du Champ de Mars, l’été dernier.

— On a trois voitures, cheval de selle, livrée, groom dans le chic anglais, maison de campagne, loge aux Italiens, un tas de choses encore. Voilà, mon cher.

Et la Vatnaz, comme si elle eût profité à ce changement de fortune, paraissait plus gaie, tout