Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/356

Cette page a été validée par deux contributeurs.

me gêne ! Rien ne m’assure qu’elle est sa maîtresse. Il me l’a nié. Donc, je suis libre ! »

Le désir de cette démarche ne le quitta plus. C’était une épreuve de ses forces qu’il voulait faire ; si bien qu’un jour, tout à coup, il vernit lui-même ses bottes, acheta des gants blancs, et se mit en route, se substituant à Frédéric et s’imaginant presque être lui, par une singulière évolution intellectuelle où il y avait à la fois de la vengeance et de la sympathie, de l’imitation et de l’audace.

Il fit annoncer « le docteur Deslauriers ».

Mme  Arnoux fut surprise, n’ayant réclamé aucun médecin.

— Ah ! mille excuses ! c’est docteur en droit. Je viens pour les intérêts de M. Moreau.

Ce nom parut la troubler.

« Tant mieux ! pensa l’ancien clerc ; puisqu’elle a bien voulu de lui, elle voudra de moi ! » s’encourageant par l’idée reçue qu’il est plus facile de supplanter un amant qu’un mari.

Il avait eu le plaisir de la rencontrer, une fois, au Palais ; il cita même la date. Tant de mémoire étonna Mme  Arnoux. Il reprit d’un ton doucereux :

— Vous aviez déjà… quelques embarras… dans vos affaires !

Elle ne répondit rien ; donc, c’était vrai.

Il se mit à causer de choses et d’autres, de son logement, de la fabrique ; puis, apercevant, aux bords de la glace, des médaillons :

— Ah ! des portraits de famille, sans doute ?

Il remarqua celui d’une vieille femme, la mère de Mme  Arnoux.