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porte Maillot. Frédéric et ses témoins s’y trouvaient, habillés de noir tous les trois. Regimbart, au lieu de cravate, avait un col de crin comme un troupier ; et il portait une espèce de longue boîte à violon, spéciale pour ce genre d’aventures. On échangea froidement un salut. Puis tous s’enfoncèrent dans le bois de Boulogne, par la route de Madrid, afin d’y trouver une place convenable.

Regimbart dit à Frédéric, qui marchait entre lui et Dussardier :

— Eh bien, et cette venette, qu’en fait-on ? Si vous avez besoin de quelque chose, ne vous gênez pas, je connais ça ! La crainte est naturelle à l’homme.

Puis, à voix basse :

— Ne fumez plus, ça amollit !

Frédéric jeta son cigare qui le gênait, et continua d’un pied ferme. Le vicomte avançait par derrière, appuyé sur le bras de ses deux témoins.

De rares passants les croisaient. Le ciel était bleu, et on entendait, par moments, des lapins bondir. Au détour d’un sentier, une femme en madras causait avec un homme en blouse, et, dans la grande avenue sous les marronniers, des domestiques en veste de toile promenaient leurs chevaux. Cisy se rappelait les jours heureux où, monté sur son alezan et le lorgnon dans l’œil, il chevauchait à la portière des calèches ; ces souvenirs renforçaient son angoisse ; une soif intolérable le brûlait ; la susurration des mouches se confondait avec le battement de ses artères ; ses pieds enfonçaient dans le sable ; il lui semblait qu’il était en train de marcher depuis un temps infini.

Les témoins, sans s’arrêter, fouillaient de l’œil les