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donné. Il voulait se battre au tromblon, à bout portant, avec un seul pistolet.

— Ou bien on mettra de l’arsenic dans un verre, qui sera tiré au sort. Ça se fait quelquefois ; je l’ai lu !

Le Baron, peu endurant naturellement, le rudoya.

— Ces messieurs attendent votre réponse. C’est indécent, à la fin ! Que prenez-vous ? voyons ! Est-ce l’épée ?

Le Vicomte répliqua « oui », par un signe de tête ; et le rendez-vous fut fixé pour le lendemain, à la porte Maillot, à sept heures juste.

Dussardier étant contraint de s’en retourner à ses affaires, Regimbart alla prévenir Frédéric.

On l’avait laissé toute la journée sans nouvelles ; son impatience était devenue intolérable.

— Tant mieux ! s’écria-t-il.

Le Citoyen fut satisfait de sa contenance.

— On réclamait de nous des excuses, croiriez-vous ? Ce n’était rien, un simple mot ! Mais je les ai envoyés joliment bouler ! Comme je le devais, n’est-ce pas ?

— Sans doute, dit Frédéric tout en songeant qu’il eût mieux fait de choisir un autre témoin.

Puis, quand il fut seul, il se répéta tout haut, plusieurs fois :

« Je vais me battre. Tiens, je vais me battre ! C’est drôle »

Et, comme il marchait dans sa chambre, en passant devant sa glace, il s’aperçut qu’il était pâle.

« Est-ce que j’aurais peur ? »

Une angoisse abominable le saisit à l’idée d’avoir peur sur le terrain.