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— Vous rappelez-vous… un certain bouquet de roses, un soir, en voiture ?

Elle rougit quelque peu ; et, avec un air de compassion railleuse :

— Ah ! j’étais bien jeune !

— Et celle-là, reprit à voix basse Frédéric, en sera-t-il de même ?

Elle répondit, tout en faisant tourner la tige entre ses doigts, comme le fil d’un fuseau :

— Non ! je la garderai !

Elle appela d’un geste la bonne, qui prit l’enfant sur son bras : puis, au seuil de la porte, dans la rue, Mme  Arnoux aspira la fleur, en inclinant la tête sur son épaule, et avec un regard aussi doux qu’un baiser.

Quand il fut remonté dans son cabinet, il contempla le fauteuil où elle s’était assise et tous les objets qu’elle avait touchés. Quelque chose d’elle circulait autour de lui. La caresse de sa présence durait encore.

— Elle est donc venue là ! se disait-il.

Et les flots d’une tendresse infinie le submergeaient.

Le lendemain, à onze heures, il se présenta chez M. Dambreuse. On le reçut dans la salle à manger. Le banquier déjeunait en face de sa femme. Sa nièce était près d’elle, et de l’autre côté l’institutrice, une Anglaise, fortement marquée de petite vérole.

M. Dambreuse invita son jeune ami à prendre place au milieu d’eux, et, sur son refus :

— À quoi puis-je vous être bon ? Je vous écoute.

Frédéric avoua, en affectant de l’indifférence,