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train moins dispendieux ; elle avait même vendu jusqu’au cachemire, tenant à s’acquitter de ses vieilles dettes, disait-elle ; et il donnait toujours, elle l’ensorcelait, elle abusait de lui, sans pitié. Aussi les factures, les papiers timbrés pleuvaient dans la maison. Frédéric sentait une crise prochaine.

Un jour, il se présenta pour voir Mme Arnoux. Elle était sortie. Monsieur travaillait en bas dans le magasin.

En effet, Arnoux, au milieu de ses potiches, tâchait d’enfoncer de jeunes mariés, des bourgeois de la province. Il parlait du tournage et du tournassage, du truité et du glacé ; les autres, ne voulant pas avoir l’air de n’y rien comprendre, faisaient des signes d’approbation et achetaient.

Quand les chalands furent dehors, il conta qu’il avait eu, le matin, avec sa femme, une petite altercation. Pour prévenir les observations sur la dépense, il avait affirmé que la Maréchale n’était plus sa maîtresse.

— Je lui ai même dit que c’était la vôtre.

Frédéric fut indigné ; mais des reproches pouvaient le trahir, il balbutia :

— Ah ! vous avez eu tort, grand tort !

— Qu’est-ce que ça fait ? dit Arnoux. Où est le déshonneur de passer pour son amant ? Je le suis bien, moi ! Ne seriez-vous pas flatté de l’être ?

Avait-elle parlé ? Était-ce une allusion ? Frédéric se hâta de répondre :

— Non ! pas du tout ! au contraire !

— Eh bien, alors ?

— Oui, c’est vrai ! cela n’y fait rien.