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Et il débita tant de sottises et promit tant de merveilles (auxquelles il croyait peut-être), que Frédéric ne savait pas si c’était pour se moquer des autres ou de lui-même.

Ce soir-là, il reçut une lettre de sa mère.

Elle s’étonnait de ne pas le voir encore ministre, tout en le plaisantant quelque peu. Puis elle parlait de sa santé, et lui apprenait que M. Roque venait maintenant chez elle. « Depuis qu’il est veuf, j’ai cru sans inconvénient de le recevoir. Louise est très changée à son avantage. » Et en post-scriptum : « Tu ne me dis rien de ta belle connaissance, M. Dambreuse ; à ta place, je l’utiliserais. »

Pourquoi pas ? Ses ambitions intellectuelles l’avaient quitté, et sa fortune (il s’en apercevait) était insuffisante ; car, ses dettes payées et la somme convenue remise aux autres, son revenu serait diminué de quatre mille francs, pour le moins ! D’ailleurs, il sentait le besoin de sortir de cette existence, de se raccrocher à quelque chose. Aussi, le lendemain, en dînant chez Mme  Arnoux, il dit que sa mère le tourmentait pour qu’il embrassât une profession.

— Mais je croyais, reprit-elle, que M. Dambreuse devait vous faire entrer au Conseil d’État ? Cela vous irait très bien.

Elle le voulait donc. Il obéit.

Le banquier, comme la première fois, était assis à son bureau, et d’un geste le pria d’attendre quelques minutes, car un monsieur tournant le dos à la porte, l’entretenait de matières graves. Il s’agissait de charbons de terre et d’une fusion à opérer entre diverses compagnies.