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du droit naturel des peuples ; et il était perdu dans Dunod, Rogerius, Balbus, Merlin, Vazeille, Savigny, Troplong et autres lectures considérables. Afin de s’y livrer plus à l’aise, il s’était démis de sa place de maître-clerc. Il vivait en donnant des répétitions, en fabriquant des thèses ; et, aux séances de la Parlotte, il effrayait par sa virulence le parti conservateur, tous les jeunes doctrinaires issus de M. Guizot, si bien qu’il avait, dans un certain monde, une espèce de célébrité, quelque peu mêlée de défiance pour sa personne.

Il arriva au rendez-vous, portant un gros paletot doublé de flanelle rouge, comme celui de Sénécal autrefois.

Le respect humain, à cause du public qui passait, les empêcha de s’étreindre longuement, et ils allèrent jusque chez Véfour, bras dessus bras dessous, en ricanant de plaisir, avec une larme au fond des yeux. Puis, dès qu’ils furent seuls, Deslauriers s’écria :

— Ah ! saprelotte, nous allons nous la repasser douce, maintenant !

Frédéric n’aima point cette manière de s’associer, tout de suite, à sa fortune. Son ami témoignait trop de joie pour eux deux, et pas assez pour lui seul.

Ensuite, Deslauriers conta son échec, et peu à peu ses travaux, son existence, parlant de lui-même stoïquement et des autres avec aigreur. Tout lui déplaisait. Pas un homme en place qui ne fût un crétin ou une canaille. Pour un verre mal rincé, il s’emporta contre le garçon, et, sur le reproche anodin de Frédéric :

— Comme si j’allais me gêner pour de pareils