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versa, à l’idée de revoir Mme Arnoux. Avec la netteté d’une hallucination, il s’aperçut auprès d’elle, chez elle, lui apportant quelque cadeau dans du papier de soie, tandis qu’à la porte stationnerait son tilbury, non, un coupé plutôt ! un coupé noir, avec un domestique en livrée brune ; il entendait piaffer son cheval et le bruit de la gourmette se confondant avec le murmure de leurs baisers. Cela se renouvellerait tous les jours, indéfiniment. Il les recevrait chez lui, dans sa maison ; la salle à manger serait en cuir rouge, le boudoir en soie jaune, des divans partout ! et quelles étagères ! quels vases de Chine ! quels tapis ! Ces images arrivaient si tumultueusement, qu’il sentait la tête lui tourner. Alors, il se rappela sa mère ; et il descendit, tenant toujours la lettre à sa main.

Mme Moreau tâcha de contenir son émotion et eut une défaillance. Frédéric la prit dans ses bras et la baisa au front.

— Bonne mère, tu peux racheter ta voiture maintenant ; ris donc, ne pleure plus, sois heureuse !

Dix minutes après, la nouvelle circulait jusqu’aux faubourgs. Alors, Me Benoist, M. Gamblin, M. Chambion, tous les amis accoururent. Frédéric s’échappa une minute pour écrire à Deslauriers. D’autres visites survinrent. L’après-midi se passa en félicitations. On en oubliait la femme Roque, qui était cependant « très bas ».

Le soir, quand ils furent seuls, tous les deux, Mme Moreau dit à son fils qu’elle lui conseillait de s’établir à Troyes, avocat. Étant plus connu