Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/115

Cette page a été validée par deux contributeurs.

parla de Mlle  Vatnaz, de l’Andalouse, et de toutes les autres. Enfin, avec beaucoup de périphrases, il exposa le but de sa visite : se fiant à la discrétion de son ami, il venait pour qu’il l’assistât dans une démarche, après laquelle il se regarderait définitivement comme un homme ; et Frédéric ne le refusa pas. Il conta l’histoire à Deslauriers, sans dire la vérité sur ce qui le concernait personnellement.

Le Clerc trouva qu’« il allait maintenant très bien. » Cette déférence à ses conseils augmenta sa bonne humeur.

C’était par elle qu’il avait séduit, dès le premier jour, Mlle  Clémence Daviou, brodeuse en or pour équipements militaires, la plus douce personne qui fût, et svelte comme un roseau, avec de grands yeux bleus, continuellement ébahis. Le clerc abusait de sa candeur, jusqu’à lui faire croire qu’il était décoré ; il ornait sa redingote d’un ruban rouge, dans leurs tête-à-tête, mais s’en privait en public, pour ne point humilier son patron, disait-il. Du reste, il la tenait à distance, se laissait caresser comme un pacha, et l’appelait « fille du peuple » par manière de rire. Elle lui apportait chaque fois de petits bouquets de violettes. Frédéric n’aurait pas voulu d’un tel amour.

Cependant, lorsqu’ils sortaient, bras dessus bras dessous, pour se rendre dans un cabinet chez Pinson ou chez Barillot, il éprouvait une singulière tristesse. Frédéric ne savait pas combien, depuis un an, chaque jeudi, il avait fait souffrir Deslauriers, quand il se brossait les ongles, avant d’aller dîner rue de Choiseul !

Un soir que, du haut de son balcon, il venait