Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/107

Cette page a été validée par deux contributeurs.

aperçu un chapeau de femme, et il s’était enfoncé bien vite dans le bosquet à côté.

Mlle  Vatnaz se trouvait seule avec Arnoux.

— Excusez-moi ! je vous dérange ?

— Pas le moins du monde ! reprit le marchand.

Frédéric, aux derniers mots de leur conversation, comprit qu’il était accouru à l’Alhambra pour entretenir Mlle  Vatnaz d’une affaire urgente ; et sans doute Arnoux n’était pas complètement rassuré, car il lui dit d’un air inquiet :

— Vous êtes bien sûre ?

— Très sûre ! on vous aime ! Ah ! quel homme !

Et elle lui faisait la moue, en avançant ses grosses lèvres, presque sanguinolentes à force d’être rouges. Mais elle avait d’admirables yeux fauves avec des points d’or dans les prunelles, tout pleins d’esprit, d’amour et de sensualité. Ils éclairaient, comme des lampes, le teint un peu jaune de sa figure maigre. Arnoux semblait jouir de ses rebuffades. Il se pencha de son côté en lui disant :

— Vous êtes gentille, embrassez-moi !

Elle le prit par les deux oreilles, et le baisa sur le front.

À ce moment, les danses s’arrêtèrent ; et, à la place du chef d’orchestre, parut un beau jeune homme, trop gras et d’une blancheur de cire. Il avait de longs cheveux noirs disposés à la manière du Christ, un gilet de velours azur à grandes palmes d’or, l’air orgueilleux comme un paon, bête comme un dindon ; et quand il eut salué le public, il entama une chansonnette. C’était un villageois narrant lui-même son voyage dans la