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crème, un pont-l’évêque et une bouteille de bourgogne. Ce fut un affranchissement, presque une revanche, et ils se moquaient de Cornaro ! Fallait-il être imbécile pour se tyranniser comme lui ! Quelle bassesse que de penser toujours au prolongement de son existence ! La vie n’est bonne qu’à condition d’en jouir.

— Encore un morceau ?

— Je veux bien.

— Moi de même !

— À ta santé !

— À la tienne !

— Et fichons-nous du reste !

Ils s’exaltaient.

Bouvard annonça qu’il voulait trois tasses de café, bien qu’il ne fût pas un militaire. Pécuchet, la casquette sur les oreilles, prisait coup sur coup, éternuait sans peur ; et, sentant le besoin d’un peu de champagne, ils ordonnèrent à Germaine d’aller de suite au cabaret leur en acheter une bouteille. Le village était trop loin. Elle refusa. Pécuchet fut indigné.

— Je vous somme, entendez-vous ! je vous somme d’y courir.

Elle obéit, mais en bougonnant, résolue à lâcher bientôt ses maîtres, tant ils étaient incompréhensibles et fantasques.

Puis, comme autrefois, ils allèrent prendre le gloria sur le vigneau.

La moisson venait de finir, et des meules, au milieu des champs, dressaient leurs masses noires sur la couleur de la nuit bleuâtre et douce. Les fermes étaient tranquilles. On n’entendait même plus les grillons. Toute la campagne dormait. Ils