Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/9

Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’expérience, et il mangeait, le coin de la serviette dans l’aisselle, en débitant des choses qui faisaient rire Pécuchet. C’était un rire particulier, une seule note très basse, toujours la même, poussée à de longs intervalles. Celui de Bouvard était contenu, sonore, découvrait ses dents, lui secouait les épaules, et les consommateurs à la porte s’en retournaient.

Le repas fini, ils allèrent prendre le café dans un autre établissement. Pécuchet, en contemplant les becs de gaz, gémit sur le débordement du luxe, puis, d’un geste dédaigneux, écarta les journaux. Bouvard était plus indulgent à leur endroit. Il aimait tous les écrivains en général et avait eu dans sa jeunesse des dispositions pour être acteur.

Il voulut faire des tours d’équilibre avec une queue de billard et deux boules d’ivoire, comme en exécutait Barberou, un de ses amis. Invariablement elles tombaient, et, roulant sur le plancher entre les jambes des personnes, allaient se perdre au loin. Le garçon, qui se levait toutes les fois pour les chercher à quatre pattes sous les banquettes, finit par se plaindre. Pécuchet eut une querelle avec lui ; le limonadier survint, il n’écouta pas ses excuses et même chicana sur la consommation.

Il proposa ensuite de terminer la soirée paisiblement dans son domicile, qui était tout près, rue Saint-Martin.

À peine entré, il endossa une manière de camisole en indienne et fit les honneurs de son appartement.

Un bureau de sapin, placé juste dans le milieu,