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de Pacchioni, et le corps de Paccini, bref, un amas inextricable, de quoi user leur existence.

Quelquefois, dans un vertige, ils démontaient complètement le cadavre, puis se trouvaient embarrassés pour remettre en place les morceaux.

Cette besogne était rude, après le déjeuner surtout, et ils ne tardaient pas à s’endormir, Bouvard, le menton baissé, l’abdomen en avant, Pécuchet, la tête dans les mains, avec ses deux coudes sur la table.

Souvent, à ce moment-là, M. Vaucorbeil, qui terminait ses premières visites, entr’ouvrait la porte.

— Eh bien, les confrères, comment va l’anatomie ?

— Parfaitement, répondaient-ils.

Alors il posait des questions pour le plaisir de les confondre.

Quand ils étaient las d’un organe, ils passaient à un autre, abordant ainsi et délaissant tour à tour le cœur, l’estomac, l’oreille, les intestins, car le bonhomme en carton les assommait, malgré leurs efforts pour s’y intéresser. Enfin le docteur les surprit comme ils le reclouaient dans sa boîte.

— Bravo ! je m’y attendais.

On ne pouvait à leur âge entreprendre ces études ; et le sourire accompagnant ces paroles les blessa profondément.

De quel droit les juger incapables ? Est-ce que la science appartenait à ce monsieur ? comme s’il était lui-même un personnage bien supérieur !

Donc, acceptant son défi, ils allèrent jusqu’à Bayeux pour y acheter des livres.

Ce qui leur manquait, c’était la physiologie, et