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Mais il leur tardait d’employer l’alambic ; et ils abordèrent les liqueurs fines, en commençant par l’anisette. Le liquide presque toujours entraînait avec lui les substances, ou bien elles se collaient dans le fond ; d’autres fois, ils s’étaient trompés sur le dosage. Autour d’eux les grandes bassines de cuivre reluisaient, les matras avançaient leur bec pointu, les poêlons pendaient au mur. Souvent l’un triait des herbes sur la table, tandis que l’autre faisait osciller le boulet de canon dans la sébile suspendue ; ils mouvaient les cuillers, ils dégustaient les mélanges.

Bouvard, toujours en sueur, n’avait pour vêtement que sa chemise et son pantalon tiré jusqu’au creux de l’estomac par ses courtes bretelles ; mais, étourdi comme un oiseau, il oubliait le diagramme de la cucurbite, ou exagérait le feu.

Pécuchet marmottait des calculs, immobile dans sa longue blouse, une espèce de sarreau d’enfant avec des manches ; et ils se considéraient comme des gens très sérieux, occupés de choses utiles.

Enfin ils rêvèrent une crème qui devait enfoncer toutes les autres. Ils y mettraient de la coriandre comme dans le kummel, du kirsch comme dans le marasquin, de l’hysope comme dans la chartreuse, de l’ambrette comme dans le vespetro, du calamus aromaticus comme dans le krambambuly ; et elle serait colorée en rouge avec du bois de santal. Mais sous quel nom l’offrir au commerce ? car il fallait un nom facile à retenir et pourtant bizarre. Ayant longtemps cherché, ils décidèrent qu’elle se nommerait la « Bouvarine ».

Vers la fin de l’automne, des taches parurent dans les trois bocaux de conserves. Les tomates