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La chose fut pourtant décidée.

Depuis qu’ils habitaient le pays, ils se tenaient à l’écart. Tout le monde, par désir de les connaître, accepta leur invitation, sauf le comte de Faverges, appelé dans la capitale pour affaires. Ils se rabattirent sur M. Hurel, son factotum.

Beljambe, l’aubergiste, ancien chef à Lisieux, devait cuisiner certains plats. Il fournissait un garçon. Germaine avait requis la fille de basse-cour. Marianne, la servante de Mme Bordin, viendrait aussi. Dès quatre heures, la grille était grande ouverte, et les deux propriétaires, pleins d’impatience, attendaient leurs convives.

Hurel s’arrêta sous la hêtrée pour remettre sa redingote. Puis le curé s’avança, revêtu d’une soutane neuve, et, un moment après, M. Foureau, avec un gilet de velours. Le docteur donnait le bras à sa femme, qui marchait péniblement en s’abritant sous son ombrelle. Un flot de rubans roses s’agita derrière eux ; c’était le bonnet de Mme Bordin, habillée d’une belle robe de soie gorge-de-pigeon. La chaîne d’or de sa montre lui battait la poitrine, et les bagues brillaient à ses deux mains couvertes de mitaines noires. Enfin parut le notaire, un panama sur la tête, un lorgnon dans l’œil, car l’officier ministériel n’étouffait pas en lui l’homme du monde.

Le salon était ciré à ne pouvoir s’y tenir debout. Les huit fauteuils d’Utrecht s’adossaient le long de la muraille ; une table ronde, dans le milieu, supportait la cave à liqueur, et on voyait au-dessus de la cheminée le portrait du père Bouvard. Les embus reparaissant à contre-jour faisaient grimacer la bouche, loucher les yeux, et