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Au sommet du vigneau, six arbres équarris supportaient un chapeau de fer-blanc à pointes retroussées, et le tout signifiait une pagode chinoise.

Ils avaient été sur les rives de l’Orne choisir des granits, les avaient cassés, numérotés, rapportés eux-mêmes dans une charrette, puis avaient joint les morceaux avec du ciment, en les accumulant les uns par-dessus les autres ; et au milieu du gazon se dressait un rocher, pareil à une gigantesque pomme de terre.

Quelque chose manquait au delà pour compléter l’harmonie. Ils abattirent le plus gros tilleul de la charmille (aux trois quarts mort, du reste), et le couchèrent dans toute la longueur du jardin, de telle sorte qu’on pouvait le croire apporté par un torrent ou renversé par la foudre.

La besogne finie, Bouvard, qui était sur le perron, cria de loin :

— Ici ! on voit mieux !

— Voit mieux, fut répété dans l’air.

Pécuchet répondit :

— J’y vais !

— Y vais !

— Tiens, un écho !

— Écho !

Le tilleul, jusqu’alors, l’avait empêché de se produire, et il était favorisé par la pagode, faisant face à la grange, dont le pignon surmontait la charmille.

Pour essayer l’écho, ils s’amusaient à lancer des mots plaisants ; Bouvard en hurla de polissons, d’obscènes.

Il avait été plusieurs fois à Falaise, sous prétexte d’argent à recevoir, et il en revenait toujours