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voyaient tourbillonner devant eux des éclats de bois, des branches, des ardoises ; et les femmes de marin qui, sur la côte, à dix lieues de là, regardaient la mer, n’avaient pas l’œil plus tendre et le cœur plus serré. Puis, tout à coup, les supports et les barres des contre-espaliers, avec le treillage, s’abattirent sur les plates-bandes.

Quel tableau quand ils firent leur inspection ! Les cerises et les prunes couvraient l’herbe entre les grêlons qui fondaient. Les passe-colmar étaient perdus, comme le bési-des-vétérans et les triomphes-de-jordoigne. À peine s’il restait parmi les pommes quelques bons-papas ; et douze têtons-de-Vénus, toute la récolte des pêches, roulaient dans les flaques d’eau, au bord des buis déracinés.

Après le dîner, où ils mangèrent fort peu, Pécuchet dit avec douceur :

— Nous ferions bien de voir à la ferme s’il n’est pas arrivé quelque chose ?

— Bah ! pour découvrir encore des sujets de tristesse !

— Peut-être ! car nous ne sommes guère favorisés.

Et ils se plaignirent de la Providence et de la nature.

Bouvard, le coude sur la table, poussait sa petite susurration, et, comme toutes les douleurs se tiennent, les anciens projets agricoles lui revinrent à la mémoire, particulièrement la féculerie et un nouveau genre de fromages.

Pécuchet respirait bruyamment ; et tout en se fourrant dans les narines des prises de tabac, il songeait que si le sort l’avait voulu, il ferait maintenant