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NOTES


ORIGINE
DE
BOUVARD ET PÉCUCHET.


« T’aperçois-tu que je deviens moraliste ? est-ce un signe de vieillesse ? Mais je tourne certainement à la haute comédie, j’ai quelquefois des prurits atroces d’engueuler les humains, et je le ferai à quelque jour, dans dix ans d’ici, dans quelque long roman à cadre large ; en attendant, une vieille idée m’est revenue, à savoir celle de mon Dictionnaire des idées reçues (sais-tu ce que c’est ?) ; la préface surtout m’excite fort, et de la manière dont je la conçois (ce serait tout un livre), aucune loi ne pourrait me mordre quoique j’y attaquerais tout. Ce serait la glorification historique de tout ce qu’on approuve : j’y démontrerais que les majorités ont toujours eu raison, les minorités toujours tort ; j’immolerais les grands hommes à tous les imbéciles, les martyrs à tous les bourreaux, et cela dans un style poussé à outrance, à fusées. Ainsi, pour la littérature, j’établirais, ce qui serait facile, à savoir que le médiocre étant à la portée de tous est le seul légitime, et qu’il faut donc honnir toute espèce d’originalité comme dangereuse, sotte, etc. Cette apologie de la canaillerie humaine sur toutes ses faces, ironique et hurlante d’un bout à l’autre, pleine de citations, de preuves (qui prouveraient le contraire) et de textes effrayants (ce serait facile), est dans le but d’en finir une fois pour toutes avec les excentricités, quelles qu’elles soient. Je rentrerais, par là, dans l’idée démocratique moderne d’égalité, dans le mot de Fourier : que les grands hommes deviendront inutiles, et c’est dans ce but, dirais-je, que ce livre est fait. On y trouverait donc par ordre alphabétique, sur tous les sujets possibles, tout ce qu’il faut dire en société pour être un homme convenable et aimable. Ainsi on trouverait :

Artiste. Sont tous désintéressés.

Langouste. Femelle du homard.