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Le père Gouy les soulevait pour passer, quand tout à coup ils rencontrèrent Mme Bordin, nu-tête, en camisole, et Marianne lui offrait à pleins bras des paquets de linge.

— Votre servante, messieurs ! Faites comme chez vous ! moi je vais m’asseoir, je suis rompue.

Le fermier proposa à toute la compagnie un verre de boisson.

— Pas maintenant, dit-elle, j’ai trop chaud.

Pécuchet accepta et disparut vers le cellier avec le père Gouy, Marianne et Victor.

Bouvard s’assit par terre, à côté de Mme Bordin.

Il recevait ponctuellement sa rente, n’avait pas à s’en plaindre, ne lui en voulait plus.

La grande lumière éclairait son profil ; un de ses bandeaux noirs descendait trop bas, et les petits frisons de sa nuque se collaient à sa peau ambrée, moite de sueur. Chaque fois qu’elle respirait, ses deux seins montaient. Le parfum du gazon se mêlait à la bonne odeur de sa chair solide, et Bouvard eut un revif de tempérament qui le combla de joie. Alors il lui fit des compliments sur sa propriété.

Elle en fut ravie et parla de ses projets.

Pour agrandir les cours, elle abattrait le haut-bord.

Victorine, en ce moment-là, en grimpait le talus et cueillait des primevères, des hyacinthes et des violettes, sans avoir peur d’un vieux cheval qui broutait l’herbe au pied.

— N’est-ce pas qu’elle est gentille ? dit Bouvard.

— Oui ! c’est gentil, une petite fille !

Et la veuve poussa un soupir qui semblait exprimer le long chagrin de toute une vie.