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L’ecclésiastique finissait de dîner. Reine offrit des sièges, et, sur un geste, alla prendre deux petits verres qu’elle emplit de Rosolio.

Après quoi, Bouvard exposa ce qui l’amenait.

L’abbé ne répondit pas franchement.

— Tout est possible à Dieu, et les miracles sont une preuve de la religion.

— Cependant il y a des lois.

— Cela n’y fait rien. Il les dérange pour instruire, corriger.

— Que savez-vous s’il les dérange ? répliqua Bouvard. Tant que la nature suit sa routine, on n’y pense pas ; mais dans un phénomène extraordinaire, nous voyons la main de Dieu.

Elle peut y être, dit l’ecclésiastique, et quand un événement se trouve certifié par des témoins ?

— Les témoins gobent tout, car il y a de faux miracles !

Le prêtre devint rouge.

— Sans doute… quelquefois.

— Comment les distinguer des vrais ? Et si les vrais donnés en preuves ont eux-mêmes besoin de preuves, pourquoi en faire ?

Reine intervint, et, prêchant comme son maître, dit qu’il fallait obéir.

— La vie est un passage, mais la mort est éternelle !

— Bref, ajouta Bouvard en lampant le Rosolio, les miracles d’autrefois ne sont pas mieux démontrés que les miracles d’aujourd’hui ; des raisons analogues défendent ceux des chrétiens et des païens.

Le curé jeta sa fourchette sur la table.