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se balançaient, et la tristesse de la nuit augmentait le sérieux de leurs pensées.

Bouvard, de temps à autre, allait jusqu’au bout de l’appartement, puis revenait. Les flambeaux et les bassines contre les murs posaient sur le sol des ombres obliques ; et le saint Pierre, vu de profil, étalait, au plafond, la silhouette de son nez, pareille à un monstrueux cor de chasse.

On avait peine à circuler entre les objets, et souvent Bouvard, n’y prenant garde, se cognait à la statue. Avec ses gros yeux, sa lippe tombante, et son air d’ivrogne, elle gênait aussi Pécuchet. Depuis longtemps, ils voulaient s’en défaire, mais, par négligence, remettaient cela de jour en jour.

Un soir, au milieu d’une dispute sur la monade, Bouvard se frappa l’orteil au pouce de saint Pierre, et tournant contre lui son irritation.

— Il m’embête, ce coco-là : flanquons-le dehors !

C’était difficile par l’escalier. Ils ouvrirent la fenêtre, et l’inclinèrent sur le bord, doucement. Pécuchet à genoux tâcha de soulever ses talons, pendant que Bouvard pesait sur ses épaules. Le bonhomme de pierre ne branlait pas ; ils durent recourir à la hallebarde, comme levier, et arrivèrent enfin à l’étendre tout droit. Alors, ayant basculé, il piqua dans le vide, la tiare en avant, un bruit mat retentit, et, le lendemain, ils le trouvèrent, cassé en douze morceaux, dans l’ancien trou aux composts.

Une heure après, le notaire entra, leur apportant une bonne nouvelle. Une personne de la localité avancerait mille écus, moyennant une