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devaient trois barriques de vin à Beljambe, douze kilogrammes de sucre à Langlois, cent vingt francs au tailleur, soixante au cordonnier. La dépense allait toujours et maître Gouy ne payait pas.

Ils se rendirent chez Marescot, pour qu’il leur trouvât de l’argent, soit par la vente des Écalles, ou par une hypothèque sur leur ferme, ou en aliénant leur maison, qui serait payée en rentes viagères et dont ils garderaient l’usufruit. Moyen impraticable, dit Marescot, mais une affaire meilleure se combinait et ils seraient prévenus.

Ensuite, ils pensèrent à leur pauvre jardin. Bouvard entreprit l’émondage de la charmille, Pécuchet la taille de l’espalier. Marcel devait fouir les plates-bandes.

Au bout d’un quart d’heure, ils s’arrêtaient, l’un fermait sa serpette, l’autre déposait ses ciseaux, et ils commençaient doucement à se promener : Bouvard, à l’ombre des tilleuls, sans gilet, la poitrine en avant, les bras nus ; Pécuchet, tout le long du mur, la tête basse, les mains dans le dos, la visière de sa casquette tournée sur le cou par précaution ; et ils marchaient ainsi parallèlement, sans même voir Marcel, qui, se reposant au bord de la cahute, mangeait une chiffe de pain.

Dans cette méditation, des pensées avaient surgi ; ils s’abordaient, craignant de les perdre ; et la métaphysique revenait.

Elle revenait à propos de la pluie et du soleil, d’un gravier dans leur soulier, d’une fleur sur le gazon, à propos de tout.

En regardant brûler la chandelle, ils se demandaient si la lumière est dans l’objet ou dans notre œil. Puisque des étoiles peuvent avoir disparu