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— Moi, je la prétends immortelle ! Dieu ne peut vouloir…

— Mais si Dieu n’existe pas ?

— Comment ?

Et Pécuchet débita les trois preuves cartésiennes :

— Primo, Dieu est compris dans l’idée que nous en avons ; secundo, l’existence lui est possible ; tertio, être fini, comment aurais-je une idée de l’infini ? et puisque nous avons cette idée, elle nous vient de Dieu, donc Dieu existe !

Il passa au témoignage de la conscience, à la tradition des peuples, au besoin d’un créateur.

— Quand je vois une horloge…

— Oui ! oui ! connu ! mais où est le père de l’horloger ?

— Il faut une cause, pourtant !

Bouvard doutait des causes.

— De ce qu’un phénomène succède à un phénomène on conclut qu’il en dérive. Prouvez-le.

— Mais le spectacle de l’univers dénote une intention, un plan !

— Pourquoi ? Le mal est organisé aussi parfaitement que le bien. Le ver qui pousse dans la tête du mouton et le fait mourir équivaut, comme anatomie, au mouton lui-même. Les monstruosités surpassent les fonctions normales. Le corps humain pouvait être mieux bâti. Les trois quarts du globe sont stériles. La Lune, ce lampadaire, ne se montre pas toujours ! Crois-tu l’Océan destiné aux navires, et le bois des arbres au chauffage de nos maisons ?

Pécuchet répondit :

— Cependant l’estomac est fait pour digérer,