Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/269

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Peu à peu, ils sentirent comme l’effleurement d’une haleine, l’approche d’un être impalpable. Des gouttes de sueur mouillaient le front de Pécuchet, et voilà que Bouvard se mit à claquer des dents, une crampe lui serrait l’épigastre ; le plancher, comme une onde, fuyait sous ses talons ; le soufre qui brûlait dans la cheminée se rabattit à grosses volutes ; des chauves-souris en même temps tournoyaient ; un cri s’éleva ; qui était-ce ?

Et ils avaient sous leurs capuchons des figures tellement décomposées que leur effroi en redoublait, n’osant faire un geste ni même parler ; quand derrière la porte ils entendirent des gémissements comme ceux d’une âme en peine.

Enfin ils se hasardèrent.

C’était leur vieille bonne qui, les espionnant par une fente de la cloison, avait cru voir le diable, et, à genoux dans le corridor, elle multipliait les signes de croix.

Tout raisonnement fut inutile. Elle les quitta le soir même, ne voulant plus servir des gens pareils.

Germaine bavarda. Chamberlan perdit sa place, et il se forma contre eux une sourde coalition entretenue par l’abbé Jeufroy, Mme Bordin et Foureau.

Leur manière de vivre, qui n’était pas celle des autres, déplaisait. Ils devinrent suspects et même inspiraient une vague terreur.

Ce qui les ruina surtout dans l’opinion, ce fut le choix de leur domestique. À défaut d’un autre, ils avaient pris Marcel.

Son bec-de-lièvre, sa hideur et son baragouin écartaient de sa personne. Enfant abandonné, il avait grandi au hasard dans les champs et conservait