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fumait. Bouvard se tenait derrière ; et Pécuchet, lui tournant le dos, jetait dans l’âtre des poignées de soufre.

Avant d’appeler un mort, il faut le consentement des démons. Or, ce jour-là était un vendredi, jour qui appartient à Béchet : on devait s’occuper de Béchet premièrement. Bouvard ayant salué de droite et de gauche, fléchi le menton et levé les bras, commença :

— Par Éthaniel, Anazin, Ischyros…

Il avait oublié le reste.

Pécuchet, bien vite, souffla les mots, notés sur un carton :

— Ischyros, Athanatos, Adonaï, Sadaï, Éloy, Messiasos (la kyrielle était longue), je te conjure, je t’observe, je t’ordonne, ô Béchet !

Puis baissant la voix :

— Où es-tu, Béchet ? Béchet ! Béchet ! Béchet !

Bouvard s’affaissa dans le fauteuil, et il était bien aise de ne pas voir Béchet, un instinct lui reprochant sa tentative comme un sacrilège. Où était l’âme de son père ? Pouvait-elle l’entendre ? Si tout à coup elle allait venir ?

Les rideaux se remuaient avec lenteur, sous le vent qui entrait par un carreau fêlé, et les cierges balançaient des ombres sur le crâne de mort et sur la figure peinte. Une couleur terreuse les brunissait également. De la moisissure dévorait les pommettes, les yeux n’avaient plus de lumière, mais une flamme brillait au-dessus, dans les trous de la tête vide. Elle semblait quelquefois prendre la place de l’autre, poser sur le collet de la redingote, avoir ses favoris ; et la toile, à demi déclouée, oscillait, palpitait.