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payer ! Car ils possèderaient un domicile à eux ! Et ils mangeraient les poules de leur basse-cour, les légumes de leur jardin, et dîneraient en gardant leurs sabots !

— Nous ferons tout ce qui nous plaira ! nous laisserons pousser notre barbe !

Ils s’achetèrent des instruments horticoles, puis un tas de choses « qui pourraient peut-être servir », telles qu’une boîte à outils (il en faut toujours dans une maison), ensuite des balances, une chaîne d’arpenteur, une baignoire en cas qu’ils ne fussent malades, un thermomètre et même un baromètre « système Gay-Lussac » pour des expériences de physique, si la fantaisie leur en prenait. Il ne serait pas mal, non plus (car on ne peut pas toujours travailler dehors), d’avoir quelques bons ouvrages de littérature, et ils en cherchèrent, fort embarrassés parfois de savoir si tel livre était vraiment « un livre de bibliothèque ». Bouvard tranchait la question :

— Eh ! nous n’aurons pas besoin de bibliothèque.

— D’ailleurs j’ai la mienne, disait Pécuchet.

D’avance, ils s’organisaient. Bouvard emporterait ses meubles, Pécuchet sa grande table noire ; on tirerait parmi des rideaux et avec un peu de batterie de cuisine ce serait bien suffisant.

Ils s’étaient juré de taire tout cela, mais leur figure rayonnait. Aussi leurs collègues les trouvaient drôles. Bouvard, qui écrivait étalé sur son pupitre et les coudes en dehors pour mieux arrondir sa bâtarde, poussait son espèce de sifflement tout en clignant d’un air malin ses lourdes paupières. Pécuchet, juché sur un grand tabouret