Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/109

Cette page a été validée par deux contributeurs.

gamins les escorta. Bouvard, rouge comme un coquelicot, affectait un air digne ; Pécuchet, très pâle, lançait des regards furieux ; et ces deux étrangers, portant des cailloux dans leurs mouchoirs, n’avaient pas bonne figure. Provisoirement, on les colloqua dans l’auberge, dont le maître, sur le seuil, barrait l’entrée. Puis le maçon réclama ses outils. Ils les payèrent, encore des frais ! et le garde champêtre ne revenait pas ! pourquoi ? Enfin un monsieur, qui avait la croix d’honneur, les délivra ; et ils s’en allèrent, ayant donné leurs noms, prénoms et domicile, avec l’engagement d’être à l’avenir plus circonspects.

Outre un passeport, il leur manquait bien des choses, et, avant d’entreprendre des explorations nouvelles, ils consultèrent le Guide du voyageur géologue, par Boné. Il faut avoir, premièrement, un bon havresac de soldat, puis une chaîne d’arpenteur, une lime, des pinces, une boussole et trois marteaux, passés dans une ceinture qui se dissimule sous la redingote et « vous préserve ainsi de cette apparence originale, que l’on doit éviter en voyage ». Comme bâton, Pécuchet adopta franchement le bâton de touriste, haut de six pieds, à longue pointe de fer. Bouvard préférait une canne-parapluie ou parapluie-polybranches, dont le pommeau se retire pour agrafer la soie, contenue à part dans un petit sac. Ils n’oublièrent pas de forts souliers avec des guêtres, chacun « deux paires de bretelles, à cause de la transpiration », et, bien qu’on ne puisse « se présenter partout en casquette », ils reculèrent devant la dépense « d’un de ces chapeaux qui se plient, et qui portent le nom du chapelier Gibus, leur inventeur ».