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DE GUSTAVE FLAUBERT.

1647. À MADAME ROGER DES GENETTES.
[Paris, février 1877].

*** vous dépasse dans la répulsion que lui cause l’Assommoir ; son dégoût ressemble à de la fureur et la rend parfaitement injuste. Il serait fâcheux de faire beaucoup de livres comme celui-là ; mais il y a des parties superbes, une narration qui a de grandes allures et des vérités incontestables. C’est trop long dans la même gamme, mais Zola est un gaillard d’une jolie force et vous verrez le succès qu’il aura.

Le père Didon m’a donné hier de vos nouvelles et je me suis senti jaloux. Quel malheur qu’il soit moine, et que j’aie des préventions invétérées ! Je ne crois jamais à l’esprit libéral des corporations : elles obéissent à un mot d’ordre et je déteste autant messieurs les militaires que messieurs les ecclésiastiques. Je froisse vos sentiments, mais tant pis ; si on ne se froissait jamais, on ne s’aimerait guère. Moi j’ai des brutalités de gendarme et des sensibilités d’Almanzor ; Almanzor est moins connu.

Allons, une bonne poignée de main avant que vous n’ayez le petit frémissement de la lèvre qui annonce que vous êtes très en colère.

Malgré tout, écrivez-moi très longuement. Quand je reçois vos lettres, je les tâte, avant de les ouvrir, avec une sorte d’angoisse, tant j’ai peur qu’elles ne soient trop courtes.