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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Comme je pense à vous ! et comme j’ai envie de vous revoir ! Ce sera je ne sais quand. Dès que j’ai fait cinq ou six pas dans mon cabinet, mon articulation enfle, et j’ai bien peur de ne pouvoir, au mois de mai, être en état de monter un escalier. J’ai passé un dur hiver ! et mon accident chirurgical a été le moindre de mes chagrins. Sans la sacro-sainte Littérature, je crois que je serais devenu fou, ou imbécile. Il peut bien m’en rester quelque chose.

J’ai eu hier une colère comique contre un bourgeois, un ancien camarade de collège qui est venu me voir et a voulu m’apitoyer sur le désastre de la maison Quesnal du Havre, une faillite de 20 millions, ce qui m’est parfaitement égal. J’ai menacé mon visiteur de lui flanquer mon encrier (de bronze) à la tête, s’il continuait. Car j’ai tant besoin de larmes pour mes propres infortunes qu’il ne m’en reste plus pour celles des autres. C’est pourquoi notre « Avenir social » m’inquiète médiocrement. Tout le bavardage que l’on dépense là-dessus me paraît stérile et anti-scientifique. L’Histoire suit son développement ; nous n’y pouvons rien. Autant se plaindre de n’être pas Dieu.

J’ai parlé à Popelin d’une petite grâce que je demanderai à Votre Altesse, c’est de faire jouer chez vous un dialogue en vers fait par un jeune poète que j’aime beaucoup[1]. Mme Pasca connaît l’œuvre, l’apprend maintenant et s’offre pour remplir le principal rôle. Cela est de très bonne compagnie et vous agréera, je crois.

  1. Histoire du Vieux Temps, par Guy de Maupassant ; voir Œuvres complètes de Guy de Maupassant. Théâtre, 1 vol.