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CORRESPONDANCE

pour mon travail. Eh bien, mon travail s’en passera, forcément. Souvent, d’ailleurs, il me semble que je ne pourrai plus écrire. On a tant frappé sur ma pauvre cervelle que le grand ressort est cassé. Je me sens fourbu, je ne demande qu’à dormir, et je ne peux pas dormir, parce que j’ai sur la peau des démangeaisons abominables (sans qu’on y voie de plaques ni de rougeurs). Fortin prétend que c’est une affection nerveuse des papilles de la peau. De plus, j’ai mal aux dents ou plutôt à la seule dent d’en haut qui me reste. Comique ! comique ! mais comique qui ne me fait pas rire ! Tel est le bonhomme. Ajoute à cela que mes lectures philosophiques et religieuses me soulèvent le cœur de dégoût, tant je trouve l’aplomb de ces messieurs outrecuidant. Mais la palme, comme bêtise et comme impudence, appartient aux apologistes modernes. Quels ânes ! ou quelle mauvaise foi !

Voilà, ma chérie. Tu ne diras pas, cette fois, que je ne suis pas « ouvert »…

N. B. — Popelin doit venir me voir la semaine prochaine. Il dînera ou déjeunera ici, peut-être y couchera-t-il.

L’avalanche de lettres diminue, Dieu merci ! Cependant, depuis l’histoire de la Bibliothèque, pas de jour ne s’est passé que je n’en aie au moins cinq ou six à écrire. Quel abrutissement ! Il ne m’est pas même permis d’avoir la jambe cassée. Il faut qu’on me tourmente dans mon lit ! Il y a aujourd’hui juste un mois qu’est arrivé mon accident ! Eh bien, pas un jour, ou à peu près, ne s’est passé sans qu’on ne m’ait dit, fait ou écrit quelque chose de pénible ! inconsciemment, soit ! Mais le coup n’en a pas moins porté.