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DE GUSTAVE FLAUBERT.

plaignent, ils parlent de ma « bonté ». Que c’est dur ! que c’est dur ! Je n’en mérite pas tant ! Maudit soit le jour où j’ai eu la fatale idée de mettre mon nom sur un livre ! Sans ma mère et Bouilhet, je n’aurais jamais imprimé. Comme je le regrette maintenant ! Je demande à ce qu’on m’oublie, à ce qu’on me f… la paix, à ce qu’on ne parle jamais de moi ! Ma personne me devient odieuse. Quand donc serai-je crevé, pour qu’on ne s’en occupe plus ? Tu veux que je te dise la vérité, ma chère fille, eh bien, la voilà ! Mon cœur éclate de rage et je succombe sous le poids des avanies.

[…] Il faut encore que le Figaro, pour les besoins de sa polémique, me traîne dans la fange ! Après tout, c’est bien ! J’ai été lâche, j’ai manqué à mes principes (car moi aussi, j’en ai) et j’en suis puni. Il ne faut pas se plaindre ; mais j’en souffre, oui, cruellement. Pas de pose ! Toute la dignité de ma vie est perdue. Je me regarde comme un homme souillé. Oh ! les Autres ! les éternels Autres ! Et tout cela, pour n’avoir pas l’air d’un entêté, d’un orgueilleux ! Dans la peur de paraître « poser ».

Fortin a visité ma jambe hier et lundi me refera une autre botte de dextrine. Je ne pourrai pas marcher avant un mois, et « ce sera bien joli », dit-il. Je boiterai pendant trois ou quatre ans. Cette perspective ne me désole pas du tout ! Quant à pouvoir monter les escaliers de Paris, principalement le nôtre, cette année, la chose me paraît douteuse ! J’en suis tout consolé d’avance. Et d’ailleurs, avec quel argent irais-je et vivrais-je à Paris ? J’ai besoin d’y vivre au moins deux mois