Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 8.djvu/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
157
DE GUSTAVE FLAUBERT.

1766. À LA PRINCESSE MATHILDE.
Mercredi [30 octobre 1878].
Princesse,

Je suppose que vous êtes maintenant dans les préparations du retour, car le temps est bien mauvais ! Ici nous sommes noyés. Les Bourgeois disent en pareil cas « c’est un véritable déluge », et ce mot les console. Quant à moi, le temps extérieur m’est parfaitement égal. Celui d’à présent est tellement atroce qu’il en devient beau. La Seine sous mes fenêtres est verdâtre et mugit sous le ciel noir avec des bandes de saphir, et les arbres, qui se tordent au vent en perdant leurs feuilles, ressemblent à des personnes qui s’arrachent les cheveux. On dirait que la nature a un gros chagrin. Dans les beaux jours d’été ne la trouvez-vous, quelquefois, insultante ?

J’ai eu à Étretat un spectacle navrant : celui d’une vieille amie d’enfance (Mme de Maupassant) tellement malade des nerfs qu’elle ne peut plus supporter la lumière ; elle est obligée de vivre dans les ténèbres. Le rayon d’une lampe la fait crier. C’est atroce. Quelles pauvres machines que nous sommes ! Mais pourquoi vous parler de ça ? Je vous en demande pardon. Mon fond noir se découvre de plus en plus, hélas ! Il est vrai que j’ai peu de sujets de gaîté.

Je ne connais pas l’ouvrage du jeune Houssaye, dont le titre est bien joli ! Quel goût de perruquier[1] ! Que ce soit plein de lieux-communs,

  1. Voyage autour du monde à l’Exposition universelle, 1 vol.