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CORRESPONDANCE

l’auteur. Mon ami Zola veut fonder une école. Le succès l’a grisé, tant il est plus facile de supporter la mauvaise fortune que la bonne. L’aplomb de Zola en matière de critique s’explique par son inconcevable ignorance. Je crois que personne n’aime plus l’Art, l’Art en soi. Où sont-ils ceux qui trouvent du plaisir à déguster une belle phrase ? Cette volupté d’aristocrate est de l’archéologie.

Avez-vous lu le Caliban, de Renan ? Il y a dedans des choses charmantes, mais ça manque de base, beaucoup trop.

Que devenez-vous, pauvre chère amie ? Que lisez-vous ? À quoi songez-vous ? Quand se reverra-t-on ? Au nom de votre propre dignité, ne vous abandonnez pas ! Serai-je plus heureux l’hiver prochain ? Viendrez-vous à Paris ?

J’ai passé cinq jours de la semaine dernière à Chenonceaux, chez Mme Pelouze. On y a fait en l’an 1577 une ribote ornée de femmes nues que j’ai envie d’écrire. Le sujet du roman Sous Napoléon III m’est enfin venu ! Je crois le sentir. Jusqu’à nouvel ordre cela s’appellera Un ménage parisien. Mais il faut que je me débarrasse de mes bonshommes. J’espère au jour de l’an prochain être à la moitié de ce formidable bouquin.

Allons, adieu. Tâchez de tolérer cette gueuse d’existence et écrivez-moi de longuissimes épîtres. Ce me sera un grand plaisir.