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CORRESPONDANCE

1583. À MADEMOISELLE LEROYER DE CHANTEPIE.
Croisset, 17 juin 1876.
Ma chère correspondante,

Non ! je ne vous avais pas oubliée, parce que je n’oublie pas ceux que j’aime. Mais je m’étonnais de votre long silence, ne sachant à quelle cause l’attribuer.

Vous désirez savoir la vérité sur les derniers moments de Mme Sand ; la voilà : elle n’a reçu aucun prêtre. Mais dès qu’elle a été morte, sa fille, Mme Clésinger, a fait demander à l’évêque de Bourges l’autorisation de lui faire un enterrement catholique, et personne dans la maison (sauf peut-être sa belle-fille, Mme Maurice) n’a défendu les idées de notre pauvre amie. Maurice était tellement anéanti qu’il ne lui restait aucune énergie, et puis il y a eu les influences étrangères, des considérations misérables inspirées par des bourgeois. Je n’en sais pas plus long. La cérémonie, du reste, a été des plus touchantes : tout le monde pleurait et moi plus que les autres.

Cette perte-là s’ajoute à l’amas de toutes celles que j’ai faites depuis 1869. C’est mon pauvre Bouilhet qui a commencé la série ; après lui sont partis Sainte-Beuve, Jules de Goncourt, Théophile Gautier, Feydeau, un intime moins illustre, mais non moins cher, qui s’appelait Jules Duplan — et je ne parle pas de ma mère, que j’aimais tendrement ! Ce matin même, j’ai appris la mort de mon plus vieux camarade d’enfance.