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CORRESPONDANCE

réelle, y a gagné par le contraste. Mme Viardot, qui a le goût naturellement grand, me disait hier en parlant de vous : « Comment a-t-elle pu faire l’un avec l’autre ? » C’est également mon avis.

Vous m’attristez un peu, chère maître, en m’attribuant des opinions esthétiques qui ne sont pas les miennes. Je crois que l’arrondissement de la phrase n’est rien, mais que bien écrire est tout, parce que « bien écrire c’est à la fois bien sentir, bien penser et bien dire » (Buffon). Le dernier terme est donc dépendant des deux autres, puisqu’il faut sentir fortement afin de penser, et penser pour exprimer.

Tous les bourgeois peuvent avoir beaucoup de cœur et de délicatesse, être pleins des meilleurs sentiments et des plus grandes vertus, sans devenir pour cela des artistes. Enfin, je crois la forme et le fond deux subtilités, deux entités qui n’existent jamais l’une sans l’autre.

Ce souci de la beauté extérieure que vous me reprochez est pour moi une méthode. Quand je découvre une mauvaise assonance ou une répétition dans une de mes phrases, je suis sûr que je patauge dans le faux. À force de chercher, je trouve l’expression juste, qui était la seule et qui est, en même temps, l’harmonieuse. Le mot ne manque jamais quand on possède l’idée.

Notez (pour en revenir au bon Sedaine) que je partage toutes ses opinions et j’approuve ses tendances. Au point de vue archéologique c’est curieux, et au point de vue humanitaire très louable, je vous l’accorde. Mais aujourd’hui qu’est-ce que ça nous fait ? Est-ce de l’Art éternel ? Je vous le demande.