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DE GUSTAVE FLAUBERT.

pauvre loulou. C’est à cela que je m’aperçois de mon âge. L’énergie du fond me manque. N’importe ! Le séjour de Concarneau m’aura été bon ; et puis la société de G. Pouchet est très saine : tu n’imagines pas quel bon garçon ça fait ! S’il restait ici tout l’hiver, j’y resterais. Mais, lui parti, je n’aurais plus personne à qui causer. Or je redoute la solitude ; elle m’est bien funeste maintenant. Tu me reverras donc vers le 5 ou le 6 novembre ; je ne sais pas encore le jour fixe.

Pour me consoler de mon prochain départ, je me dis que j’ai besoin de quelques livres sur le moyen âge — ce qui est vrai, — et qu’il m’ennuie de ma pauvre fille, ce qui est encore plus vrai.

Je suis ravi que tu te plaises dans ton nouveau logement. Serai-je comme toi ? Tu ne me dis pas si l’on entend trop le bruit des voitures. Voilà ce que je redoute par-dessus tout ! Et j’ai peur de regretter le parc Monceau. Mais qu’est-ce que je ne regrette pas !

Je comprends le mal que Julie a eu à quitter Croisset ! Quand on devient vieux, les habitudes sont d’une tyrannie dont tu n’as pas l’idée, pauvre enfant. Tout ce qui s’en va, tout ce que l’on quitte a le caractère de l’irrévocable et on sent la mort marcher sur vous. Si à la ruine intérieure, que l’on sent très bien, des ruines du dehors s’ajoutent, on est tout simplement écrasé.

Malgré mes résolutions, Saint Julien n’avance pas vite. Dans mes moments de désœuvrement je lis quelques passages d’un Saint-Simon qu’on m’a prêté. Je relis pour la centième fois les contes de M. de Voltaire et puis le Siècle, le Temps, et le