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CORRESPONDANCE

1556. À SA NIÈCE CAROLINE.
Concarneau, jeudi, 2 heures [7 octobre 1875].
Mon pauvre Loulou,

Si je n’avais pas eu peur de t’ennuyer par la fréquence de mes épîtres, je t’aurais répondu tout de suite dimanche soir, pour te remercier du petit brin de clématite. Cette attention m’a été au cœur, et j’ai pleuré bien doucement en songeant à notre pauvre vieille. Tu ne pouvais pas imaginer quelque chose qui me fût plus agréable.

Tu me parais « sublime » de résolution et de sagesse. J’approuve tes beaux plans de travail. Que ne puis-je t’imiter ! Cependant j’ai écrit à peu près une page de Saint Julien l’Hospitalier ; mais le fond du bonhomme continue à n’être pas gai.

Je vais vous envoyer, tantôt ou demain, une lettre à ton mari, pour lui adresser quelques questions d’affaires, car tu ne m’en parles jamais et l’avenir, quoi que je fasse, me tourmente. Ça me revient de temps à autre, comme un mal de dents.

Croirais-tu que, presque toutes les nuits, je rêve Croisset, ou quelques-uns de mes amis morts ? Cette nuit, ç’a été Feydeau. Le passé me dévore, et tu me parles de « vie nouvelle » à commencer ! Mais, ma pauvre enfant, à mon âge, on ne recommence pas : on achève, ou plutôt on dégringole. Hier, j’ai fait une promenade en bateau, charmante. La mer était comme un lac,