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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Ah ! que je voudrais écraser mon cœur sous mes talons. Voyons ! calmons-nous.

Ton époux n’est pas fort sur les itinéraires. Il s’était trompé pour le bateau de Trouville et il a manqué me faire passer en route, pour venir ici, vingt-quatre heures de plus qu’il ne le fallait. J’ai été de Lisieux au Mans où j’ai pris le train de Brest, à 1 heure de nuit. À Redon, j’ai pris le chemin de Lorient et je me suis arrêté à Rosporden à 10 heures du matin ; j’en suis reparti à 2 heures et à 3 heures j’étais ici. La vue des bonnets de femmes m’a fait plaisir et je me suis retrouvé dans une auberge du bon vieux temps avec une sensation de rafraîchissement. Cela vous sort de la banalité des hôtels et de l’éternel garçon en habit noir couvert de taches. J’ai passé la nuit de mercredi à regarder la lune : elle courait aussi vite que le wagon, derrière les arbres qui bordaient la route. Heureusement, je n’avais personne à côté de moi. Tout mon voyage s’est passé sans désagrément, mais non sans fatigue, car je suis arrivé ici brisé et crevant de sommeil et de faim.

Mme Sergent est au niveau de sa réputation. J’ai une très jolie chambre donnant sur le bassin. Ah ! si je pouvais me remettre au travail ! Mais… tant que je ne saurai pas à quoi m’en tenir sur ce qui nous restera, je n’aurai aucune liberté d’esprit. Il y a de l’espoir, et un grand espoir, du côté de M. Delahante[1]. Si cette affaire-là réussissait (l’achat de la scierie par une compagnie de chemin de fer), ce serait bien bon !

  1. Acquéreur de la ferme de Deauville, pour la somme de 200 000 francs.