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CORRESPONDANCE

enfin, Bouvard et Pécuchet ! Je m’en suis fait le serment ! Il n’y a plus à reculer ! Mais quelle peur j’éprouve ! Quelles transes ! Il me semble que je vais m’embarquer pour un très grand voyage, vers des régions inconnues, et que je n’en reviendrai pas.

Malgré l’immense respect que j’ai pour votre sens critique (car chez vous le Jugeur est au niveau du Producteur, ce qui n’est pas peu dire) je ne suis point de votre avis sur la manière dont il faut prendre ce sujet-là. S’il est traité brièvement, d’une façon concise et légère, ce sera une fantaisie plus ou moins spirituelle, mais sans portée et sans vraisemblance, tandis qu’en détaillant et développant, j’aurai l’air de croire à mon histoire, et on peut en faire une chose sérieuse et même effrayante. Le grand danger est la monotonie et l’ennui. Voilà bien ce qui m’effraie cependant… et puis, il sera toujours temps de serrer, d’abréger. D’ailleurs, il m’est impossible de faire une chose courte. Je ne puis exposer une idée sans aller jusqu’au bout.

Autre histoire. Vous souvenez-vous d’une pièce de moi et de Bouilhet : Le Sexe faible ? Eh bien, après avoir été acceptée par le Vaudeville et reprise par moi, le Vaudeville n’en voulait plus, puis refusée par Perrin comme indécente, et trouvée « à remanier d’un bout à l’autre » par Duquesnel, elle est jugée par le théâtre de Cluny « excellente » et le directeur de ce tréteau subalterne compte avoir avec elle un grand succès d’argent. Admirez la contradiction de tous ces jugements ! Que dites-vous de tous ces imbéciles, de tous ces crétins pleins d’expé-