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DE GUSTAVE FLAUBERT.

n’entendre point la plaisanterie sur sa religion ! Il ne se calme pas, au contraire !

Je viens de lire la Création naturelle de Haeckel ; joli bouquin, joli bouquin ! Le darwinisme m’y semble plus clairement exposé que dans les livres de Darwin même.

Le bon Tourgueneff m’a envoyé de ses nouvelles du fond de la Scythie. Il a trouvé le renseignement qu’il cherchait pour un livre qu’il va faire. Le ton de sa lettre est folâtre, d’où je conclus qu’il se porte bien. Il sera de retour à Paris dans un mois.

Il y a quinze jours, j’ai fait un petit voyage en Basse-Normandie, où j’ai découvert enfin un endroit propice à loger mes deux bonshommes. Ce sera entre la vallée de l’Orne et la vallée d’Auge. J’aurai besoin d’y retourner plusieurs fois.

Dès le mois de septembre, je vais donc commencer cette rude besogne. Elle me fait peur, et j’en suis d’avance écrasé.

Comme vous connaissez la Suisse, il est inutile que je vous en parle et vous me mépriseriez si je vous disais que je m’y embête à crever. J’y suis venu par obéissance, parce qu’on me l’a ordonné, pour me dérougir la face et me calmer les nerfs ! Je doute que le remède soit efficace ; en tout cas, il m’aura été mortellement ennuyeux. Je ne suis pas l’homme de la nature et je ne comprends rien aux pays qui n’ont pas d’histoire. Je donnerais tous les glaciers pour le musée du Vatican. C’est là qu’on rêve. Enfin, dans une vingtaine de jours je serai recollé à ma table verte, dans un humble asile où vous m’avez l’air de ne plus vouloir venir !