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CORRESPONDANCE

des changements qui eussent peut-être modifié l’issue finale. Mais j’en étais tellement écœuré que pour un million je n’aurais pas changé une ligne. Bref, je suis enfoncé.

Il faut dire aussi que la salle était détestable ; tous gandins et boursiers qui ne comprenaient pas le sens matériel des mots. On a pris en blague des choses poétiques. Un poète dit : « C’est que je suis de 1830, j’ai appris à lire dans Hernani et j’aurais voulu être Lara ». Là-dessus, une salve de rires ironiques, etc.

Et puis, j’ai dupé le public à cause du titre. Il s’attendait à Rabagas ! Les conservateurs ont été fâchés de ce que je n’attaquais pas les républicains. De même les communards eussent souhaité quelques injures aux légitimistes.

Mes acteurs ont supérieurement joué, Saint-Germain entre autres. Delannoy, qui porte toute la pièce, est désolé, et je ne sais comment faire pour adoucir sa douleur. Quant à Cruchard, il est calme, très calme. Il avait très bien dîné avant la représentation, et après il a encore mieux soupé. Menu ; deux douzaines d’Ostende, une bouteille de champagne frappé, trois tranches de roastbeef, une salade de truffes, café et pousse-café. La religion et l’estomac soutiennent Cruchard !

J’avoue qu’il m’eût été agréable de gagner quelque argent, mais comme ma chute n’est ni une affaire d’Art ni une affaire de sentiment, je m’en bats l’œil profondément.

Je me dis : « Enfin, c’est fini ! » et j’éprouve comme un sentiment de délivrance.

Le pire de tout cela, c’est le potin des billets ! Notez que j’ai eu douze orchestres et une loge !