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CORRESPONDANCE

1042. À ERNEST FEYDEAU.
Juillet 1869.
Mon pauvre vieux Feydeau,

Tu ne saurais croire le bien que m’a causé ta bonne lettre. Je tiens à t’en remercier tout de suite, quoique je sois brisé de fatigue.

J’ai aujourd’hui rapporté chez moi tous les papiers de notre ami et rien ne sera perdu.

Sa vie a été abrégée par ses deux sœurs qui sont revenues lui faire des scènes pour la religion. Il a été, du reste, splendide et roide. Quand le délire l’a pris dimanche soir, il s’est mis à faire un scénario sur l’Inquisition.

Sa perte, au point de vue littéraire, est pour moi irréparable, et je ne parle pas du reste. Tenons-nous bien. Tâchons qu’il en reste encore.

Je suis sûr que dans trois semaines, quand je te reverrai, je te retrouverai en meilleur état. Maintenant je suis sûr de ta guérison. Tu redeviendras le Feydeau d’autrefois. Mais il faudra te ménager un peu plus, mon bonhomme.

Il passe tous les jours devant ma grille un vieillard de soixante-dix ans, qui boite, il est vrai, mais qui, à la suite d’une attaque, a été l’année dernière six mois dans son lit, complètement paralysé. Du courage et de la patience ! ça reviendra.

Il faut être « philosophe et homme d’esprit », comme disait le grand de Sade. Mais ce n’est pas tous les jours facile.

Je t’embrasse plus tendrement que jamais.