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APPENDICE.

Jamais il n’a dit :

Le mélodrame est bon, si Margot à pleuré,


lui qui a fait des drames où l’on a pleuré, ne croyant pas que l’émotion pût remplacer l’artifice.

Il détestait cette maxime nouvelle qu’« il faut écrire comme on parle ». En effet, le soin donné à un ouvrage, les longues recherches, le temps, les peines, ce qui était autrefois une recommandation est devenu un ridicule — tant on est supérieur à tout cela, on regorge de génie et de facilité !

Il n’en manquait pas, cependant : ses acteurs l’ont vu faire au milieu d’eux des retouches considérables. « L’inspiration, disait-il, doit être amenée et non subie. »

La plastique étant la qualité première de l’Art, il donnait à ses conceptions le plus de relief possible, suivant le même Buffon qui conseille d’exprimer chaque idée par une image. Mais les bourgeois trouvent, dans leur spiritualisme, que la couleur est une chose trop matérielle pour rendre le sentiment ; — et puis le bon sens français, d’aplomb sur son paisible bidet, tremble d’être emporté dans les cieux, et crie à chaque minute : « Trop de métaphores ! » comme s’il en avait à revendre.

Peu d’auteurs ont autant pris garde au choix des mots, à la variété des tournures, aux transitions, — et il n’accordait pas le titre d’écrivain à celui qui ne possède que certaines parties du style. Combien des plus vantés seraient incapables de faire une narration, de joindre bout à bout une analyse, un portrait et un dialogue !

Il s’enivrait du rythme des vers et de la cadence de la prose qui doit, comme eux, pouvoir être lue tout haut. Les phrases mal écrites ne résistent pas à cette épreuve ; elles oppressent la poitrine, gênent les battements du cœur, et se trouvent ainsi en dehors des conditions de la vie.

Son libéralisme lui faisait admettre toutes les écoles ; Shakespeare et Boileau se coudoyaient sur sa table.

Ce qu’il préférait chez les Grecs, c’était l’Odyssée d’abord, puis l’immense Aristophane, et parmi les latins, non pas les auteurs du temps d’Auguste (excepté Virgile), mais les autres qui ont quelque chose de plus roide et de plus ronflant, comme Tacite et Juvénal. Il avait beaucoup étudié Apulée.

Il lisait Rabelais continuellement, aimait Corneille et La Fontaine — et tout son romantisme ne l’empêchait pas d’exalter Voltaire.

Mais il haïssait les discours d’académie, les apostrophes à Dieu, les conseils au peuple, ce qui sent l’égout, ce qui pue la vanille, la poésie de bouzingot, et la littérature talon-rouge, le genre pontifical et le genre chemisier.

Beaucoup d’élégances lui étaient absolument étrangères, telles