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CORRESPONDANCE

un tremblement l’a saisi, il a balbutié : « Adieu ! Adieu ! » en se fourrant la tête sous le menton de Léonie, et il est mort très doucement.

Le lundi matin, mon portier m’a réveillé avec une dépêche m’annonçant cela en style de télégraphe. J’étais seul, j’ai fait mon paquet, je t’ai expédié la nouvelle ; j’ai été le dire à Duplan, qui était au milieu de ses affaires ; puis j’ai battu le pavé jusqu’à 1 heure, et il faisait chaud dans les rues, autour du chemin de fer. De Paris à Rouen, dans un wagon rempli de monde, j’avais en face de moi une donzelle qui fumait des cigarettes, étendait ses pieds sur la banquette et chantait. En revoyant les clochers de Mantes, j’ai cru devenir fou, et je suis sûr que je n’en ai pas été loin. Me voyant très pâle, la donzelle m’a offert de l’eau de Cologne. Ça m’a ranimé, mais quelle soif ! Celle du désert de Kosseïr n’était rien auprès. Enfin je suis arrivé rue Bihorel : ici je t’épargne les détails. Je n’ai pas connu un meilleur cœur que celui du petit Philippe[1] ; lui et cette bonne Léonie ont soigné Bouilhet admirablement. Ils ont fait des choses que je trouve propres. Pour le rassurer, pour lui persuader qu’il n’était pas dangereusement malade, Léonie a refusé de se marier avec lui, et son fils l’encourageait dans cette résistance. C’était si bien l’intention de Bouilhet, qu’il avait fait venir ses papiers. De la part du jeune homme, surtout, je trouve le procédé assez gentleman.

Moi et d’Osmoy, nous avons conduit le deuil ; il a eu un enterrement très nombreux. Deux

  1. Philippe Leparfait, fils de Léonie, adopté par Bouilhet.