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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Il est mort du dégoût de la vie moderne ; le 4 septembre[1] l’a tué. Ce jour-là, en effet, qui est le plus maudit de l’histoire de France, a inauguré un ordre de choses où les gens comme Théo n’ont plus rien à faire. Depuis jeudi je pense à lui, sans cesse, et je me sens à la fois écrasé et enragé. C’était le plus vieux de mes amis intimes ; je le respectais comme un maître, et je l’aimais comme un frère. Je ne le plains pas. Je l’envie.

Catulle m’a envoyé un télégramme dans une lettre que j’ai reçue trente-six heures après l’événement et, comme à Paris on a l’habitude d’escamoter les enterrements qui se font toujours dans les vingt-quatre heures, j’ai pensé que la cérémonie aurait lieu le jeudi et que j’arriverais trop tard.

J’aurais été fâché qu’il n’eût pas eu un enterrement catholique, car le bon Théo était au fond catholique comme un espagnol du XIIe siècle. Dans ces matières-là, il faut respecter l’opinion du mort ; on doit autant que possible continuer son idée. C’est pourquoi, si j’avais eu à faire l’oraison funèbre de Théo, j’aurais dit ce qui l’a fait mourir. J’aurais protesté en son nom contre les épiciers et contre les voyous. Il est mort d’une longue colère rentrée. J’aurais donc exhalé quelque chose de cette colère. Le discours de Dumas ne m’a paru que convenable ; on n’y sent pas de palpitation.

Mme Sand m’a envoyé aujourd’hui une très bonne lettre sur notre ami, et qui contient beaucoup de conseils à mon endroit. Je vous avouerai,

  1. Proclamation de la République.