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DE GUSTAVE FLAUBERT.

solide, car la lame est bien aiguisée ; mais tout se convertit en tristesse. L’action, quelle qu’elle soit, me dégoûte de l’existence. J’ai mis à profit vos conseils, je me suis distrait. Mais ça m’amuse médiocrement. Décidément, il n’y a que la sacro-sainte littérature qui m’intéresse.

Ma préface aux Dernières Chansons a suscité chez Mme Colet une fureur pindarique. J’ai reçu d’elle une lettre anonyme, en vers, où elle me représente comme un charlatan qui bat de la grosse caisse sur la tombe de son ami, un pied-plat qui fait des turpitudes devant la critique, après avoir « adulé César » ! Triste exemple des passions, comme dirait Prud’homme !

À propos de César, je ne puis croire, quoi qu’on dise, à son retour prochain. Malgré mon pessimisme, nous n’en sommes pas là. Cependant, si on consultait le Dieu appelé suffrage universel, qui sait ?… Ah ! nous sommes bien bas, bien bas !

J’ai vu Ruy Blas pitoyablement joué, sauf par Sarah. Mélingue est un égoutier somnambule, et les autres sont aussi ennuyeux. Victor Hugo s’étant plaint amicalement de n’avoir pas reçu ma visite, j’ai cru devoir lui en faire une et je l’ai trouvé… charmant ! Je répète le mot, pas du tout grand homme, pas du tout pontife ! Cette découverte, qui m’a fort surpris, m’a fait grand bien. Car j’ai la bosse de la vénération et j’aime à aimer ce que j’admire. Cela est une allusion personnelle à vous, chère bon maître.

J’ai fait la connaissance de Mme Viardot, que je trouve une nature bien curieuse. C’est Tourgueneff qui m’a amené chez elle.