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DE GUSTAVE FLAUBERT.

forcer ces sanglants imbéciles à déblayer les ruines de Paris, la chaîne au cou, en simples forçats. Mais cela aurait blessé l’humanité. On est tendre pour les chiens enragés et point pour ceux qu’ils ont mordus.

Cela ne changera pas, tant que le suffrage universel sera ce qu’il est. Tout homme (selon moi), si infime qu’il soit, a droit à une voix, la sienne, mais n’est pas l’égal de son voisin, lequel peut le valoir cent fois. Dans une entreprise industrielle (Société anonyme), chaque actionnaire vote en raison de son apport. Il en devrait être ainsi dans le gouvernement d’une nation. Je vaux bien vingt électeurs de Croisset. L’argent, l’esprit et la race même doivent être comptés, bref toutes les forces. Or, jusqu’à présent, je n’en vois qu’une : le nombre. Ah ! chère maître, vous qui avez tant d’autorité, vous devriez bien attacher le grelot ! On lit beaucoup vos articles du Temps, qui ont un grand succès, et, qui sait ? vous rendriez peut-être à la France un immense service.

Aïssé m’occupe énormément, ou plutôt m’agace. Je n’ai pas vu Chilly, j’ai donc affaire à Duquesnel. On me retire positivement le vieux Berton et on me propose son fils. Il est fort gentil, mais il n’a rien du type conçu par l’auteur. « Les Français » ne demanderaient peut-être pas mieux que de prendre Aïssé. Je suis fort perplexe, et il va falloir que je me décide. Quant à attendre qu’un vent littéraire se lève, comme il ne se lèvera pas, moi vivant, il vaut mieux risquer la chose tout de suite.

Ces affaires théâtrales me dérangent beaucoup, car j’étais bien en train. Depuis un mois, j’étais