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DE GUSTAVE FLAUBERT.

datée de Saint-Germain nous a fait grand plaisir.

L’abominable état de Paris me semble toucher à sa fin, et vous allez sans doute rentrer chez vous. J’espère vous y voir bientôt. Que vous dirai-je, cher ami ? J’ai manqué mourir de chagrin cet hiver. Personne, je crois, n’a été plus affligé que moi et, pendant deux mois, j’ai même cru avoir un cancer d’estomac, car j’avais des vomissements presque tous les jours.

Caroline était en Angleterre ; j’avais emmené ma mère à Rouen ; notre pauvre Croisset était bourré de Prussiens de la cave au grenier ; Achille se débattait au conseil municipal. Ah ! c’était joli !

Enfin, à l’armistice, Caroline est revenue de Londres. Alors j’ai conduit ma mère à Dieppe d’où je suis parti en mars pour aller voir ma pauvre Princesse à Bruxelles, et je devais revenir à Paris quand le second siège a commencé. Voilà en résumé le récit de ma triste existence depuis bientôt dix mois.

Je me suis remis à travailler, et je tâche de me griser avec de l’encre comme d’autres se grisent avec de l’eau-de-vie, afin d’oublier les malheurs publics et mes tristesses particulières.

Ma pauvre mère est devenue si vieille, elle est si faible, que sa compagnie est pour moi un sujet de chagrin permanent.

J’ai perdu depuis deux ans tous mes amis intimes et je ne deviens pas gai. Il fallait que j’eusse un fond solide pour résister à des chocs si nombreux !

Ce matin, les nouvelles de Paris m’ont ôté un poids de dessus le cœur. Allons-nous enfin avoir