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CORRESPONDANCE

aux malheurs particuliers, aux malheurs de ceux que j’aime, c’est le contraire : ma sensibilité est exaspérée et l’idée de votre chagrin me désole. Le calus s’est fait par-dessus la plaie. Bonsoir !

Après l’invasion de la Prusse, j’ai tiré le drap mortuaire sur la face de la France. Qu’elle roule désormais dans la boue et le sang ! Peu importe, elle est finie.

Quoi qu’il advienne, le Gouvernement ne siégera plus à Paris[1]. Dès lors Paris ne sera plus la capitale et le Paris que nous aimions deviendra de l’histoire. Nous n’y trouverons jamais tout ce qui rendait la vie si douce. Je dis nous, car vous y reviendrez (on vous y fera revenir, dès qu’il y aura un gouvernement assis, régulier). Mais peut-être regretterez-vous votre temps d’exil, tant vous y trouverez de ruines et de changements !

Puisque vous me demandez des détails sur la vie que je mène, en voici. Je suis tout seul à Croisset avec ma mère qui ne peut plus marcher, et qui s’affaiblit effroyablement ! J’ai pour distraction unique de voir, de temps à autre, passer sous mes fenêtres Messieurs les Prussiens faisant une promenade militaire, et comme occupation mon Saint Antoine, auquel je travaille sans désemparer. Cette œuvre extravagante m’empêche de songer aux horreurs de Paris. Quand nous trouvons le monde trop mauvais, il faut se réfugier dans un autre. Le vieux mot « à la consolation des lettres » n’est pas un poncif ! À propos de lettres, que dites-vous de ce malheureux Troubat, qui est devenu le secrétaire, devinez de qui ? de Félix

  1. Le 11 mars 1871 l’Assemblée Nationale décida de se réunir à Versailles, qui serait désormais le lieu de sa résidence.